La publication de la loi n°10-95 relative à l’eau est l’une des réalisations phares que le secteur de l’eau au Maroc a connu ces dernières décennies. Elle avait pour objectif de réformer ce secteur sur les plans institutionnel et juridique en vue de moderniser la gestion des ressources en eau et doter les pouvoirs publics des outils leur permettant de faire face aux multiples défis posés.
Sur le plan institutionnel, cette loi a jeté les bases d’une gestion intégrée, concertée, participative et décentralisée des ressources en eau à travers:
- l’institutionnalisation du conseil supérieur de l’eau et du climat dont la principale mission est l’orientation de la politique nationale de l’eau;
- la création de neuf agences des bassins hydrauliques et leur conférer d’importantes attributions en matière de gestion et de protection des ressources en eau;
- la création des commissions de l’eau au niveau provincial et préfectoral chargées de l’encouragement des actions d’économie d’eau et de la sensibilisation à la protection des ressources en eau.
Sur le plan juridique, ladite loi a mis en place les règles régissant la planification et la gestion intégrée de l’eau, la lutte contre la pollution et la surexploitation des ressources en eau, les conditions générales d’utilisation du domaine public hydraulique et les instruments financiers à travers le principe préleveur-payeur et pollueur-payeur.
Bien que la mise en œuvre de la loi n°10-95 relative à l’eau et ses textes d’application a permis la réalisation de nombreux et importants acquis, le diagnostic établis par l’autorité gouvernementale chargée de l’Eau sur la base des études thématiques qui elle a réalisé, de l’évaluation de l’application de cette loi par les agences des bassins hydrauliques ainsi que sur les conclusions des concertations avec les intervenants et la société civile a démontré que la loi sur l’eau n’est plus adaptée aux mutations qu’a connu le secteur de l’eau suite à l’évolution du contexte socioéconomique du Maroc, à la promulgation de la constitution du 31 juillet 2011 et à la publication de la loi-cadre n°99.12 portant charte nationale de l’environnement et du développement durable dont l’article 7 prévoit l’actualisation de la législation de l’eau dans le but de l’adapter aux exigences du développement durable et aux effets conjugués de la désertification et des changements climatiques.
Les limites de la loi 10-95 sur l’eau sont liées principalement à:
- l’absence de règles juridiques concernant le dessalement des eaux de mer et aux faiblesses des dispositions régissant la réutilisation des eaux usées et la valorisation des eaux pluviales ce qui entrave la mise en œuvre de projets de dessalement, de réutilisation et de valorisation sur la base d’un cadre réglementaire exhaustif et clair;
- la carence des dispositions relatives à la protection contre les inondations ;
- la complexité des procédures de délimitation et d’utilisation du domaine public hydraulique, ce qui ne facilite pas l’aboutissement de ces procédures dans des délais raisonnables;
- l’absence de définitions pour certaines expressions telle que l’expression «rejet direct ou indirect» prévue à l’article 52 de la loi ce qui a donné lieu à de multiples interprétations et a retardé, par conséquent, la mise en œuvre du principe «pollueur payeur» ;
- aux difficultés rencontrées par les conseils d’administration en matière de gestion et de contrôle des agences des bassins hydrauliques en raison de la composition et du nombre élevé des membres de ces conseils
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Tenant compte, d’une part, de ces faiblesses et, d’autre part, de la nécessité de la prise en considération du principe du droit à l’eau et à l’environnement sain prévu par la constitution de 2011 et des objectifs et principes de la loi-cadre n°99.12 précitée, il s’est avéré nécessaire de procéder à la révision de la loi relative à l’eau pour qu’elle puisse accompagner les mutations en cours sur les plans juridique, socioéconomique et climatiques.
Pour mener cette révision, l’autorité gouvernementale chargée de l’Eau a procédé à de larges consultations nationales et régionales. Ces consultations ont permis de tenir compte des remarques et propositions de l’ensemble des parties prenantes.
Les principaux objectifs de cette révision sont la consolidation des acquis réalisés par la mise en œuvre de la loi n°10-95 relative à l’eau et l’amélioration de la gouvernance du secteur de l’eau, notamment, à travers la simplification des procédures, le renforcement du cadre réglementaire relatif à la valorisation des eaux pluviales et des eaux usées, la mise en place d’un cadre réglementaire pour le dessalement des eaux de mer, le renforcement du cadre institutionnel et des outils de protection et de préservation des ressources en eau et l’amélioration des conditions de prévention des phénomènes extrêmes liés aux changements climatiques.
En vue d’atteindre ces objectifs, la loi n°36.15 relative à l’eau a été élaborée. Elle comprend 163 articles répartis sur 12 chapitres.
Cette loi repose sur des principes fondamentaux parmi lesquels la domanialité publique de l’eau, le droit de tous citoyenne et citoyen à l’accès à l’eau et à un environnement sain, la gestion de l’eau selon les pratiques de bonne gouvernance qui incluent la concertation et la participation des différentes parties concernées, la gestion intégrée et décentralisée des ressources en eau tout en renforçant la solidarité spatiale, la protection du milieu naturel, la promotion du développement durable et l’intégration de l’approche genre en matière de développement et de gestion des ressources en eau.
Outre les nombreuses modifications dont ont fait l’objet les dispositions de la loi précitée n°10-95 relative à l’eau, la nouvelle loi a introduit d’importants ajouts dont entre autres:
- la création de conseils des bassins hydrauliques. Ces instances consultatives ont pour mission d’examiner et de donner un avis sur les plans directeurs d’aménagement intégré des ressources en eau et sur toute question liée à la gestion des ressources en eaux au niveau desdits bassins;
- la mise en place, pour le dessalement de l’eau de mer, d’un cadre juridique dont les dispositions précisent les personnes habilités à réaliser des projets de dessalement et le régime de la concession auquel ces projets sont soumis;
- l’obligation faite aux propriétaires ou aux gestionnaires d’ouvrages hydrauliques de maintenir un débit minimum à l’aval de ces ouvrages pour permettre la circulation et la reproduction des espèces animales et végétales;
- l’obligation de doter les agglomérations urbaines de schémas directeurs d’assainissement liquide qui tiennent compte des eaux pluviales et des impératifs de l’utilisation des eaux usées. Ces agglomérations doivent, aussi, être dotées de réseaux d’assainissement liquide et de stations de traitement des eaux usées. En outre la loi soumet à autorisation et au paiement d’une redevance le déversement dans ces réseaux;
- l’organisation du métier de foreur à travers la mise en place d’un régime d’autorisation pour l’exercice de ce métier;
- la mise en place d’un cadre relatif à la gestion participative des ressources en eaux en prévoyant les modalités d’établissement de contrats de gestion participative, les droits et obligations des administrations, établissements publics et usagers de l’eau cocontractants et les missions de suivi et de contrôle de l’utilisation des eaux objet du contrat que l’agence de bassin peut mettre à la charge des usagers desdites eaux;
- l’établissement d’un cadre juridique exhaustif relatif à la prévention et à la protection contre les inondations. Il inclut les aspects liés à la détermination des zones inondables, aux dispositifs de détection, de surveillance et d’alerte et à la création de comités à l’échelle nationale et régionale chargées de la gestion des événements d’inondations et de la coordination des opérations d’intervention et de secours;
- la mise en place de systèmes d’information sur l’eau au niveau du bassin hydraulique et à l’échelle nationale. Ces systèmes doivent permettre le suivi régulier de l’eau, des milieux aquatiques, des systèmes environnementaux et leur fonctionnement ainsi que les risques liés à l’eau;
- la simplification des procédures d’utilisation du domaine public hydraulique, notamment, à travers la fusion des procédures d’autorisations de creusement de puits et de prélèvement d’eau et des procédures de délimitation des berges et des francs bords des cours d’eau. Ces fusions permettraient de réduire les délais et les frais d’instruction des dossiers;
- la définition d’un certain nombre d’expressions et la suppression d’autres imprécises comme «rejet direct et indirect», ce qui facilitera la publication des textes d’application et la mise en œuvre du principe «pollueur payeur»